COMMERCE (institutions françaises)

COMMERCE (institutions françaises)
COMMERCE (institutions françaises)

Les actes professionnels d’un commerçant ou d’un industriel sont, quelle que soit sa branche d’activité, innombrables: opérations de vente, de transport; création de titres de paiement ou de crédit.

La gestion des entreprises importantes entraîne même, aujourd’hui, l’utilisation d’importants moyens techniques, dont la première fonction est d’enregistrer les actes juridiques de l’entreprise. Ces moyens, et d’autres plus modestes, doivent permettre également de satisfaire aux exigences de la célérité commerciale, différentes, ici encore, des besoins personnels ou familiaux. La rapidité des transactions est un impératif propre au commerce, alors que les actes civils laissent du temps pour la réflexion.

Les uns et les autres, cependant, ont besoin d’un environnement juridique assurant la sécurité de leur accomplissement dans un contexte social déterminé. Trois facteurs concourent à la garantie de cette sécurité. Il faut d’abord qu’existe un cadre juridique certain; le droit de la personne et de la famille – droit civil – aura pour pendant une législation commerciale spécifique, encore que, dans le domaine des obligations et des biens, les principes fondamentaux de l’un et de l’autre coïncident généralement. Ensuite, une technique juridique particulière est nécessaire pour permettre la solution des conflits entre les droits individuels: telle est la finalité de la procédure, condition existentielle de l’exercice des droits.

Il faut, enfin, une juridiction qui soit capable d’appliquer cette procédure aux droits de chacun, de les définir, d’arbitrer les conflits; la sécurité de la vie professionnelle en dépend.

1. Les chambres de commerce

Longtemps considérées comme la seule expression officielle des milieux économiques, les chambres de commerce et d’industrie ont perdu ce caractère privilégié. Si leur monopole a été entamé, leur efficacité n’a pas été réduite. La nécessité de s’affirmer autrement que par le privilège de la loi les a engagées à multiplier les initiatives et les réalisations. La formule est assez souple pour s’adapter aux transformations des structures régionales et à la nouvelle conception des rapports entre l’administration et l’économie.

Les institutions consulaires se retrouvent dans les différents pays de la C.E.E. Elles se rattachent globalement à deux grandes familles: les institutions à statut de droit public, d’une part, les institutions de type associatif, d’autre part. Les chambres de commerce des pays de la Communauté européenne sont représentées auprès des institutions de la C.E.E. à Bruxelles par une structure permanente dénommée Eurochambre.

Il existe également des chambres de commerce françaises à l’étranger et étrangères en France. Leur fonction est de favoriser le maintien ou le développement des échanges entre les pays concernés. Régies par la loi sur les associations du pays où s’exerce leur activité, elles jouent un rôle d’information et de consultation limité au commerce extérieur.

Origines

Les chambres de commerce sont le fruit d’une longue histoire. Leurs origines remontent au XVIe siècle.

À cette époque, la classe marchande s’affirme grâce au développement des échanges transocéaniques consécutifs à la découverte de l’Amérique et de ses mines d’or. Les commerçants profitent, au premier chef, du réveil commercial du bassin méditerranéen, conséquence directe du traité liant la France au Grand Turc. L’influence occidentale se fait à nouveau sentir sur les marchés et les territoires du Proche-Orient, pratiquement fermés depuis l’échec des croisades. La prise de conscience de l’unité nationale, le colbertisme et l’aide qu’il accorde aux manufactures élargissent la géographie des échanges intérieurs aux dimensions des territoires rassemblés sous l’autorité de la Couronne et poussent au dynamisme commercial. La survivance des corporations, même si leur influence et leur organisation se dégradaient depuis le Moyen Âge, rappelle encore l’importance du fait professionnel et l’aspiration des hommes de métier à sortir d’un cadre réglementariste étroit. À l’aube de l’économie moderne, les mécanismes comptent déjà plus que les structures, et l’appréhension d’une réalité globale l’emporte sur la défense d’intérêts de branches et de secteurs.

Sous toutes ces influences, les chambres de commerce apparaissent d’abord comme des commissions spécialisées des assemblées communales. C’est le cas à Marseille où se crée en 1599 une commission mixte, marchands-édiles; il en va de même à Paris à dater de 1602. Des lettres patentes donnent, par la suite, leur autonomie à ces institutions et, à partir de 1702, l’expérience ayant été concluante, la formule s’applique aux principaux centres économiques du royaume.

Supprimées par la Révolution en raison de leur caractère de corps intermédiaires, les chambres de commerce sont rétablies par le Premier consul. Depuis cette époque, leur existence n’a pas été remise en cause. Leur statut a fait l’objet d’une loi fondamentale du 9 avril 1898 relative aux chambres de commerce et aux chambres consulaires des arts et manufactures. Des textes ultérieurs ont modifié l’organisation, les missions et le fonctionnement des compagnies consulaires, devenues, à partir de 1960, chambres de commerce et d’industrie, mais sans transformer leurs caractères essentiels.

Les chambres de commerce et d’industrie sont des établissements publics administratifs qui gèrent également des services publics industriels et commerciaux. Elles sont composées de membres non pas désignés, mais élus au suffrage universel par les industriels et commerçants français de leur circonscription depuis les lois des 19 février 1907 et 11 décembre 1924.

Régime électoral

L’électorat est lié à l’inscription au registre du commerce et des sociétés. Il en résulte, d’une part, que l’entreprise est représentée par son dirigeant si elle est personnelle, par son ou par ses mandataires si elle est sous forme sociale et, d’autre part, que les divers établissements créés par l’entreprise sont représentés distinctement du siège social.

Il existe une certaine proportionnalité entre le nombre de représentants dont chaque entreprise dispose et son effectif salarié. Pour tenir compte de l’importance économique des activités représentées, les entreprises électrices sont également rangées par catégories professionnelles (commerciales, industrielles ou de services), voire en sous-catégories (en fonction de la taille des entreprises ou de leurs activités spécifiques). Les sièges dont disposent les chambres – de 24 à 64 selon le nombre de leurs électeurs – sont répartis entre elles en fonction des bases d’imposition de leurs ressortissants, de leur nombre et de leurs effectifs salariaux. Pour être éligible aux fonctions de membre de chambre de commerce et d’industrie, il faut être français, être âgé au minimum de trente ans, ne pas avoir fait l’objet de certaines condamnations, sanctions ou interdictions professionnelles, et justifier de cinq ans d’inscription sur les listes électorales, ou de cinq ans d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, ou de cinq ans d’activité, selon les cas. L’élection se fait au scrutin uninominal à un tour.

Ces règles électorales distinguent les chambres de commerce et d’industrie des syndicats professionnels et interprofessionnels. L’adhésion à ces derniers n’est aucunement obligatoire. Au contraire, tous les industriels et commerçants sont de plein droit ressortissants des chambres de commerce et d’industrie, et ils contribuent obligatoirement à leur financement. Alors que les chambres de commerce et d’industrie sont légalement reconnues comme organes représentatifs, non pas d’une branche ou d’une forme d’activité particulière, mais de l’économie dans ses solidarités territoriales ou fonctionnelles, les syndicats n’ont pas les mêmes liaisons organiques avec les pouvoirs publics, même si le syndicalisme interprofessionnel, qui peut s’exprimer plus vigoureusement qu’un établissement public en termes de revendications, est devenu un interlocuteur parallèle officiel des pouvoirs publics. Quant au syndicalisme de branche, s’il s’écarte par sa nature même des préoccupations économiques globales, il apporte dans sa revendication l’expression technique propre aux situations particulières, et apparaît souvent tout à la fois comme contestataire et conseiller vis-à-vis des pouvoirs publics.

Ainsi, les frontières, nettes en théorie, sont en pratique moins précises en raison même du développement du syndicalisme patronal.

Missions

Les chambres de commerce et d’industrie reçoivent de la loi mission générale d’être les organes des intérêts commerciaux et industriels auprès des pouvoirs publics.

Les pouvoirs publics doivent les consulter obligatoirement sur certains sujets, notamment sur les règlements relatifs aux usages commerciaux; les créations de nouvelles chambres de commerce, de tribunaux de commerce, de conseils de prud’hommes, etc.; les taxes destinées à rémunérer les services de transport concédés, dans leur circonscription, par l’autorité publique; l’utilité des travaux publics à exécuter dans leur circonscription et les taxes ou péages à percevoir pour faire face aux dépenses de ces travaux.

Ils peuvent les saisir de toutes questions d’ordre économique relatives à la politique générale ou à des matières particulières. Elles peuvent elles-mêmes se saisir de certaines questions et adresser directement leurs vœux aux pouvoirs publics. Leur attention ne se limite pas aux conditions du développement économique local ou régional: infrastructures, moyens de transport, implantations industrielles, mais se porte également sur les sujets d’ordre national, européen, voire international. Leur contribution n’est pas négligeable; elles éclairent les pouvoirs publics dans toutes les matières où la réglementation saisit le fait économique: droit des sociétés, de la concurrence, de la consommation, fiscal, social, de l’environnement, etc., comme d’ailleurs dans la définition de la politique économique proprement dite. Les mieux équipées d’entre elles mènent, grâce à leurs services d’études économiques et juridiques, des recherches sur l’évolution de la conjoncture ou les besoins de la législation en dehors de tout souci de critique ou de revendication immédiate. C’est le cas de la chambre de commerce et d’industrie de Paris, avec son centre d’observation économique et son centre de recherche pour le droit des affaires.

Les chambres de commerce et d’industrie gèrent aussi des établissements à l’usage du commerce, tels que écoles techniques et de formation à la gestion, ports de commerce, de pêche et de plaisance, aéroports, gares routières, zones industrielles, entrepôts, magasins généraux et, obligatoirement, des centres de formalités des entreprises pour faciliter aux chefs d’entreprise leurs démarches administratives en matière, notamment, d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Par extension de leur rôle d’intérêt général, elles peuvent même, dans des cas limites, relayer l’initiative privée défaillante: par exemple, par la gestion d’hôtels dans des régions à dominante touristique dépourvues de moyens d’accueil. Les chambres de commerce et d’industrie développent, également, le respect de la liberté du commerce et de l’industrie, des services d’information et d’appui à leurs ressortissants (en matière juridique, commerciale...).

La diversité de leurs interventions, qui s’effectuent le plus souvent à la place des collectivités publiques ou quelquefois même de l’initiative privée, s’explique: ces «compagnies» ont des ressources propres, une gestion souple, une vocation d’intérêt général. Elles sont bien placées pour mener des expériences qui requièrent l’esprit d’innovation, ou pour gérer des services qui doivent concilier le souci de la rentabilité et celui du service public. Plusieurs de leurs réalisations ont représenté, avant la lettre, une forme d’économie concertée.

Les chambres de commerce et d’industrie ont le pouvoir de voter l’impôt, c’est-à-dire de décider du montant des ressources nécessaires pour couvrir les dépenses. Ces ressources sont fournies par des centimes additionnels à la taxe professionnelle. L’imposition est mise en recouvrement après que les budgets ont été approuvés par les autorités de tutelle.

Sous réserve de la même approbation administrative, elles peuvent décider de contracter des emprunts. Elles arrêtent des programmes de logements réalisés avec la contribution patronale et fixent le montant des taxes ou redevances perçues par les divers établissements qu’elles gèrent.

Organisation

La circonscription territoriale des C.C.I. est de dimension variable. Tantôt elle coïncide avec un département ou un arrondissement, tantôt avec un groupement de cantons. Il existe cependant au moins une C.C.I. par département. En raison de sa spécificité économique, la région parisienne fait exception à cette règle. La chambre de commerce et d’industrie de Paris est commune à quatre départements, celle de Versailles à deux. Les unités économiques qu’expriment les C.C.I. n’auraient rien à gagner à se trouver compartimentées dans leur expression «consulaire».

Chaque chambre élit un bureau qui est son organe exécutif permanent. Elle se réunit en assemblée générale pour voter le budget, les délibérations et les vœux. Elle répartit ses membres en commissions spécialisées qui préparent ses débats ou contrôlent l’activité de ses services. Ceux-ci sont d’importance variable suivant les responsabilités de chaque compagnie. Ils vont d’un simple secrétariat aux dimensions d’une vaste administration, comme c’est le cas de la chambre de commerce et d’industrie de Paris qui, sous l’autorité d’un directeur général, dispose de plusieurs milliers de collaborateurs.

La liaison avec les industriels et les commerçants est assurée par des délégués consulaires élus en même temps que les membres de la chambre, comme eux par catégories, et pour représenter des circonscriptions territoriales restreintes: en règle générale, le canton. Ces délégués, qui élisent au deuxième degré les juges du tribunal de commerce, peuvent être désignés par la chambre comme membres correspondants. Ils se réunissent au moins une fois par an en assemblée de contrôle de l’action de cette dernière.

Les chambres de commerce et d’industrie sont en outre dotées de membres associés qui participent à leurs travaux avec voix consultative et représentent en leur sein, notamment, les cadres dirigeants et le syndicalisme interprofessionnel. Ces dispositions ont permis d’intégrer non seulement des patrons, mais des cadres investis de hautes responsabilités, afin de leur donner les moyens d’être des lieux de rencontre et de coopération avec les syndicats patronaux.

Les chambres de commerce et d’industrie sont regroupées par région au sein de chambres régionales où elles siègent par l’intermédiaire de délégués. Ces dernières, qui ont des membres associés, sont des établissements publics capables d’assumer des responsabilités comparables à celles des chambres qui les composent, mais au niveau d’une circonscription territoriale plus vaste. Cette organisation, héritée des anciennes régions économiques, mais avec une structure et des pouvoirs définis, a servi de banc d’essai à la réforme régionale. Les chambres de commerce et d’industrie ont toujours été favorables à cette réforme, le fait économique ne se laissant pas enfermer dans l’arbitraire de circonscriptions conçues pour les seuls besoins de l’administration.

Enfin, toutes les chambres de commerce et d’industrie de la métropole, des départements et territoires d’outre-mer sont regroupées en une assemblée, l’Association des chambres françaises de commerce et d’industrie (A.C.F.C.I.), également dotée du statut d’établissement public et chargée de coordonner leur action.

2. Les tribunaux de commerce

Fréquence, rapidité et sécurité des transactions commerciales justifient l’existence d’un droit, d’une procédure et d’une juridiction spécialisée.

La justice commerciale doit être rapide; il lui est difficile de supporter le formalisme et, souvent, la lourdeur de la procédure civile, qui cependant garantit la saine lenteur devant présider à l’accomplissement d’actes aussi graves que l’émancipation d’un mineur, le prononcé d’un divorce ou la constitution d’une hypothèque.

La juridiction commerciale doit être, également, peu onéreuse. Cela implique encore que le ministère des auxiliaires que sont les avocats n’y soit point obligatoire. À la limite, on doit pouvoir soutenir sa cause personnellement, ou la faire défendre par un de ses collaborateurs spécialisés.

Il faut encore que le juge et les parties puissent se comprendre. Le vocabulaire des affaires commerciales, et plus particulièrement des contrats, est souvent hermétique pour celui qui n’en est pas familier. La communication n’est possible que si les problèmes de sémantique sont résolus. On a écrit qu’un mot possédait toujours un sens, une pente, un halo et une histoire. Comment saisir les nuances de la pensée d’autrui, comment interpréter la volonté des parties si l’on n’est pas familiarisé avec leurs soucis habituels, leurs sous-entendus, leurs symboles propres? Le juge des commerçants doit être proche de ceux-ci par l’esprit.

Naissance et développement

L’idée de faire juger les litiges commerciaux par des commerçants est fort ancienne. Dès l’antiquité la plus reculée, les échanges obéissaient à des règles admises simultanément par plusieurs peuples, et différentes de celles qui régissaient les rapports entre particuliers: la lecture de l’Ancien Testament ou du Code d’Hammourabi permet déjà d’entrevoir l’autonomie du droit commercial. La loi rhodienne permettait, à la même époque, de jeter la cargaison à la mer pour sauver le navire en difficulté. Démosthène fait allusion dans ses Oraisons contre Apaturius à des magistrats spéciaux qui, à Athènes, tranchaient les différends entre marchands. À Rome, la police des marchés était également particulière.

Avec les invasions barbares du Ve siècle, l’organisation romaine s’effondre, le commerce régresse, les règles du droit commercial s’oublient. Mais, au Moyen Âge, le commerce renaît; les commerçants se rencontrent à nouveau, les foires se créent; on assiste alors à la résurrection du droit commercial; les litiges sont tranchés par les tribunaux de foire, organismes éphémères dont la durée était liée à celle de ces marchés. C’est en Italie que cette nouvelle institution voit le jour; elle s’étend à toute l’Europe occidentale.

Aux XIVe et XVe siècles, le commerce est florissant: la guerre de Cent Ans ne le trouble qu’à peine. Mais ce développement même va expliquer l’intervention du législateur. Le premier texte réglementant le droit commercial en France est l’ordonnance de 1350 de Philippe VI; celui-ci ne fait aucune allusion à une juridiction spécialisée; en dehors des foires, les commerçants devaient soumettre leurs litiges aux juges de droit commun, prévôts, baillis et, à partir de François Ier, aux membres des présidiaux.

Cependant, les marchands de Paris, las des abus de la procédure devant ces juridictions, excédés du coût des procès, mécontents de l’ignorance de leurs juges, avaient pris l’habitude de régler entre eux leurs différends.

Il faut croire que ces institutions spontanées étaient satisfaisantes, puisque, dès 1560, François II voulut généraliser les habitudes des commerçants parisiens et lyonnais en imposant à tous l’arbitrage. Mais, parallèlement, une autre tendance se faisait jour: confier le jugement des différends commerciaux à une juridiction permanente, composée de commerçants. Dès juillet 1549, un édit de Henri II crée à Toulouse une «Bourse commune de marchands», formée d’un prieur et de deux consuls. En 1556, une juridiction analogue est créée à Rouen, à l’imitation du conservateur des foires de Lyon et des prieur et consul de Toulouse.

En 1563, l’esprit juridique du nouveau chancelier de France, Michel de l’Hospital, conduisit celui-ci à instituer de véritables tribunaux, composés de juges commerçants, pour trancher des litiges nés du développement des affaires: l’État abandonnait ainsi à des marchands une part de son pouvoir régalien; et l’œuvre de l’édit de 1563 fut confirmée par l’ordonnance de Moulins de 1566.

Les tribunaux consulaires se multiplièrent sous l’Ancien Régime, à la plus grande satisfaction des esprits les plus éclairés. La Révolution reconnut suffisamment les mérites de l’institution pour la maintenir, alors qu’elle réservait un sort contraire aux autres créations judiciaires de l’Ancien Régime. Napoléon Ier étendit le système à toute l’Europe qu’il dominait. Mais, dès 1815, les États redevenus souverains supprimèrent, par l’effet d’une réaction aisément compréhensible, les juridictions consulaires; à la fin du XIXe siècle, la plupart des pays européens, soucieux au premier chef d’assurer l’unité de juridiction, ne possédaient plus que des tribunaux composés de fonctionnaires de l’État: les juges de droit commun appliquaient cependant des règles propres au droit et à la procédure commerciale.

Organisation

Seule la France a cru bon de maintenir le caractère spécifique de la juridiction commerciale.

Il en résulte donc que, dans les pays européens autres que la France, les litiges commerciaux sont jugés par les tribunaux ordinaires. Mais comment un juge professionnel peut-il comprendre le langage des commerçants et de leurs contrats et ce qu’ont voulu les contractants, comment peut-il s’assurer de la bonne foi des parties? Il est étranger au milieu commercial. Il devra donc s’entourer d’avis de commerçants ou d’industriels. Il en découle que les litiges commerciaux seront longs à juger, et risqueront de l’être mal. Les Français qui ont des litiges commerciaux dans certains pays d’Europe savent combien il est difficile d’obtenir alors une justice commerciale saine et rapide. La tendance est d’appliquer la procédure civile ordinaire, longue et coûteuse, et les règles du droit civil, mal adaptées aux besoins commerciaux.

Les pays d’Europe ont déjà procédé à une réforme par l’introduction de règles spéciales de procédure, permettant d’accélérer la justice commerciale. Mais cela ne suffit pas, et les commerçants et industriels recourent le plus souvent à l’arbitrage privé. En Italie, par exemple, une clause courante des contrats commerciaux donne compétence, pour tout litige né du contrat, au président de l’Union locale des commerçants et industriels. N’est-on pas alors, dans ces pays, sur la voie qui mène à la renaissance des tribunaux de commerce?

Le caractère original de l’institution française des tribunaux consulaires est évident; le juge consul n’est pas un fonctionnaire, mais un industriel, un commerçant ou un capitaine de navire, élu par ses pairs; ses fonctions sont entièrement gratuites.

Le mode d’élection a souvent varié au cours des temps. De nos jours, dans le ressort de chaque tribunal, l’ensemble des commerçants, personnes physiques ou personnes morales, désigne des «délégués consulaires»; ceux-ci, à leur tour, choisissent les juges consulaires qui sont investis dans leurs fonctions à l’issue d’une prestation de serment identique à celle des magistrats de l’ordre judiciaire. De la même façon, ces juges consulaires font l’objet d’un véritable régime disciplinaire.

Ils sont élus pour deux ans et rééligibles pour trois périodes successives de quatre ans. Chaque tribunal de commerce comprend au moins trois juges dont un président et un vice-président. Le président du tribunal est choisi parmi les juges ayant exercé des fonctions depuis six ans au moins. Il est élu pour quatre ans. Certains tribunaux, lorsque leur importance le justifie, sont composés de plusieurs chambres, parfois spécialisées. À chaque audience, trois juges au moins doivent être présents. Ils entendent les plaidoiries des parties, délibèrent entre eux et rendent leurs jugements qui obéissent aux mêmes règles que celles des autres tribunaux, c’est-à-dire qu’ils doivent être motivés, répondre à toutes les conclusions des parties et statuer sur tous les chefs des demandes présentées.

À côté de la procédure commerciale normale existe, depuis quelques décennies, celle des référés: le président ou un juge délégué par lui, après avoir entendu les intéressés, prend des mesures conservatoires urgentes, sans trancher les litiges au fond. Ainsi en est-il de la nomination d’un expert ou d’un séquestre, de la décision de faire procéder à un constat, à la désignation d’un administrateur provisoire, etc. Le président du tribunal, enfin, rend personnellement des ordonnances à la suite des requêtes qui lui sont présentées et qu’il agrée: c’est la juridiction gracieuse du président, qui est parallèle à sa juridiction contentieuse.

Malgré l’emprise croissante des règles de la procédure civile, les procès commerciaux sont tranchés rapidement. À Paris, par exemple, un litige demande normalement moins de six mois pour être jugé. Ce délai, parfois, est augmenté, mais du fait même des plaideurs qui, trop souvent, sollicitent de nombreuses remises pour tel ou tel prétexte, ou encore soulèvent des incidents dilatoires: les parties sont maîtresses de la procédure, et non le tribunal, auquel on ne saurait, dès lors, imputer systématiquement le retard de sa décision.

L’importance des quelque 230 tribunaux de commerce que compte la France est fort inégale, puisque le nombre des litiges qui leur est soumis varie de quelques dizaines à plusieurs dizaines de milliers par an.

Compétence

La compétence des tribunaux consulaires est fort étendue. Ils connaissent d’abord des actes de commerce; ce sont ceux qui sont définis par la loi ou par l’usage: ainsi des effets de commerce, des contrats de société, des achats pour revendre, des opérations de banque, de courtage, de l’entreprise industrielle ou commerciale, de l’entreprise de transport, de commission ou de spectacle, de l’assurance, entre autres.

Ils connaissent également des litiges entre commerçants, même lorsque l’acte soumis à l’appréciation du tribunal est civil par nature, si du moins ce dernier a été accompli à l’occasion de la vie professionnelle. La juridiction consulaire tranchera, par exemple, de la vente d’un terrain consentie par une société anonyme à une autre société, encore qu’en principe les causes immobilières ressortissent à la juridiction civile.

Les tribunaux de commerce connaissent encore des litiges entre associés d’une société commerciale, que celle-ci soit telle par sa forme (par exemple, société anonyme ou à responsabilité limitée) ou par son objet (par exemple, société en participation exploitant un fonds de commerce). Du moins faut-il que le litige soit né du contrat de société ou de ses suites.

Enfin, les tribunaux de commerce sont compétents à l’égard de toutes les actions nées de la «faillite»: annulation de certains actes accomplis par le débiteur; fixation des créances et des dettes de la société en redressement judiciaire ou en liquidation; responsabilité des dirigeants sociaux, etc.

En résumé, on peut dire que, sauf cas particuliers prévus par la loi, les tribunaux de commerce sont juges de la vie professionnelle, cependant que les tribunaux civils tranchent des litiges inhérents à la personne privée, à la famille et aux biens de celle-ci.

Une très belle institution

Certains, cependant, ont, même en France, critiqué ce système, faisant valoir que le juge consulaire qui est commerçant, industriel ou capitaine de navire ne peut être omniscient; que, s’il est, par exemple, entrepreneur de bâtiment, il aura, certes, quelques facilités pour comprendre les problèmes propres à sa profession, mais que l’on ne voit pas pour autant les raisons qui lui permettraient de mieux saisir les arcanes d’un connaissement maritime ou les subtilités de la législation cambiaire. On a dit encore qu’un juge fonctionnaire qui aurait étudié spécialement le droit commercial serait aussi à même que lui d’interpréter un contrat ou de nommer un expert pour lui donner un avis sur une difficulté technique. On a même soutenu que le juge consulaire ne pouvait être indépendant, puisque aussi bien, comme disait Balzac, il «peut craindre à tout moment sa justice pour lui-même». On suppose aussi qu’il est tenté, dans un litige opposant l’un de ses confrères à un membre d’une profession différente, de dire le droit dans un sens favorable à sa propre branche. On a encore invoqué l’incompétence juridique des magistrats consulaires, et l’on s’est demandé comment le Birotteau de Balzac pouvait rendre des sentences.

L’expérience montre l’inanité de ces critiques, du moins à l’égard des tribunaux de commerce importants. Peut-être certains de ces reproches seraient-ils valables à l’échelle des petits tribunaux de province, encore que les doléances ne soient pas plus fréquentes à leur encontre qu’à celle des tribunaux de grande instance ou correctionnels d’importance similaire. Toujours est-il que le tribunal de commerce de Paris, par exemple, prononce, lui, bon an mal an, quelque quarante-cinq mille jugements. Une faible proportion de ceux-ci font l’objet d’un appel devant la Cour de Paris, qui confirme souvent les décisions consulaires. Sur le reste, une faible fraction est soumise à l’appréciation finale de la Cour de cassation. Cette dernière, dans de nombreux cas, retient la thèse du tribunal de commerce.

Il n’y a pas lieu de s’en étonner si l’on songe que la formation intellectuelle des juges consulaires est souvent poussée: les diplômés de la faculté ou des grandes écoles y sont nombreux. De plus, chacun d’eux dirige une affaire industrielle ou commerciale, ou, en tout cas, en est l’un des cadres importants.

Il est enfin un domaine où la nature originale des juges consulaires se justifie plus particulièrement: c’est celui de la faillite. Qu’un grand magasin, un établissement financier, une usine de fabrication de réfrigérateurs ou une entreprise de bâtiment cesse ses paiements, un potentiel industriel, commercial ou financier important subsiste; le sort de plusieurs centaines, sinon de plusieurs milliers d’ouvriers, dépend des solutions qui vont être adoptées par la juridiction désignée par la loi pour connaître de ces problèmes, c’est-à-dire du tribunal de commerce. Un juge consulaire, appelé juge commissaire, est choisi par le président du tribunal pour assumer la responsabilité de la société en péril; il prend immédiatement des décisions qui sont de la plus extrême gravité pour l’avenir de celle-ci et de ses collaborateurs. Faut-il continuer l’exploitation ou licencier le personnel et liquider l’actif social? Comment, dans la première éventualité, éviter d’augmenter le passif? Comment obtenir les concours financiers indispensables à la poursuite de l’exploitation? Comment, en bref, agir en chef d’entreprise, si l’on ne possède pas les connaissances et l’expérience des choses et des hommes correspondantes?

On ne s’étonnera pas, dès lors, de la permanence de cette institution en France. Nul mieux que Diderot ne l’a mise en évidence, qui écrivait dans le chapitre de ses Mémoires pour Catherine II consacré à l’«administration de la justice»: «Nous avons à Paris et même dans toutes nos villes de France une très belle juridiction, la juridiction consulaire; c’est là que sont portées toutes les affaires de commerce. Les juges sont des commerçants [...]. On peut y plaider sa cause [...]. Les juges n’ont aucune sorte d’honoraires. Ils ne quittent jamais le tribunal que toutes les causes ne soient jugées, dussent-ils tenir deux fois vingt-quatre heures de suite [...]. Le tribunal de Paris rend jusqu’à vingt mille sentences dans l’année. Il y a appel de ces sentences au Parlement où elles sont presque toutes confirmées [...]. Ce tribunal ne peut juger définitivement que jusqu’à la concurrence de cinq cents livres. Voilà son unique défaut [...]. Cette institution subsiste à côté de nous et presque personne n’en a connaissance.»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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